On a coutume de dire que nous sommes le produit de nos gènes. Si nos parents ou nos grands parents vivent vieux, on a tendance à penser qu’il en sera de même pour nous. Comme si, à l’instar de la couleur de nos yeux ou de nos cheveux, une vie longue et en bonne santé était acquise dés la naissance, codée dans nos gènes. Mais cette perspective n’est pas heureuse. En effet, à quoi bon fournir des efforts pour sa santé si le match est déjà joué d’avance et qu’il n’y a rien à faire…
Alors, qu’en est-il vraiment ? Quelle est le véritable impact de notre génétique sur notre longévité ?
Les gènes de la longévité
Il est bien connu que des maladies comme Alzheimer, Parkinson, l’hypertension ou la démence possèdent une part génétique. On est davantage susceptible de les déclarer si on a des antécédents familiaux. Il pourrait en être de même pour la longévité. Nous possédons tous les mêmes gènes mais ceux-ci peuvent avoir plusieurs versions. On parle d’allèles. Une personne peut donc avoir le gène A1 et une autre le gène A2. Si le secret de la longévité se trouve dans notre ADN, alors celui-ci devrait être associé à la présence d’allèles protecteurs ou au moins à l’absence d’allèles nuisibles. Cependant, les études montrent que la présence d’allèles nuisibles n’empêche pas de vivre longtemps1,2.
De nombres études ont cherché les composantes génétiques d’une vie longue et en bonne santé. Les centenaires sont le meilleur exemple de longévité extrême. Ces individus rares évitent ou retardent systématiquement l’apparition de maladies liées à l’âge. Finalement, après de nombreuses études sur ces individus hors du commun, il n’y a que deux gènes dont les variantes ont été presque systématiquement associées à la longévité : APOE et, dans une moindre mesure, FOXO3A1,3. Sur les dizaines de milliers de gènes humains, seuls deux pourraient donc prétendre au statut de « gènes de la longévité ».

APOE
La protéine APOE est le principal transporteur de cholestérol dont la fonction est le transport des lipides et la réparation des lésions dans le cerveau. Il existe 3 allèles d’APOE chez l’Homme, c’est-à-dire 3 versions du gène et donc de la protéine (ε1, ε2 et ε4). APOEε3 est la version la plus fréquente chez l’Homme. Les variations génétiques de l’APOE sont bien connues pour être associées à la longévité et à la durée de vie. En effet, il y a déjà 20 ans, une étude montrait que les centenaires français avaient une très faible fréquence d’APOε4 et une fréquence accrue d’APOEε24. Depuis, d’autres études ont confirmé que ε2 et ε4 sont associés à un risque diminué (ε2) ou augmenté (ε4) de maladies liées à l’âge, telles que les maladies cardiovasculaires et la maladie d’Alzheimer (MA). Cela pourrait expliquer l’effet APOE sur la longévité4,5.
L’allèle APOEε4 est le plus pro-inflammatoire dans l’espèce humaine, suivit par APOEε3 puis APOEε2. A l’époque de nos ancêtres, avec les infections, une alimentation incertaine et une espérance de vie plus courte, APOEε4 pouvait réduire la mortalité. En effet, il permettait de collecter et de stocker efficacement la graisse pour survivre en cas de pénurie alimentaire6. L’exposition des personnes porteuses d’APOEε4 aux nouvelles conditions environnementales riches (régime occidental et espérance de vie longue) pourrait les rendre sensibles aux maladies cardiovasculaires et à la maladie d’Alzheimer. En revanche, APOEε2, moins inflammatoire et favorisant moins le cholestérol aurait un effet protecteur dans un environnement occidental et favoriserait la longévité7.

FOXO3A
FOXO3A fait partie de la voie de détection des nutriments liée à l’insuline et au facteur de croissance de l’insuline (IGF)-1. Il joue un rôle important en équilibrant la réponse cellulaire au stress oxydatif et la disponibilité des nutriments8. Plusieurs études ont montré que des modifications impactant FOXO3A sont capables de retarder le vieillissement9. Cela s’explique par le fait que la protéine régule notamment l’équilibre, la survie et la prolifération cellulaire.
Certains allèles de FOXO3 ont des effets protecteurs sur plusieurs maladies liées à l’âge, en particulier les maladies cardiovasculaires, mais aussi le cancer et les fractures osseuses10,11. Ils sont associés avec la longévité, en particulier chez les hommes. Cette différence entre les sexes pourrait être due à un effet des œstrogènes12,13.
Le véritable impact de la génétique
Quelle est, finalement, le véritable impact de nos gènes sur notre longévité ? La comparaison de l’âge de décès de jumeaux monozygotes et dizygotes, a permis d’estimer qu’environ 25% de la variation de la longévité humaine est liée aux facteurs génétiques14,15. Il n’existe pas ou peu de grands gènes de la longévité mais de nombreux gènes à faible effet qui interagissent11,16. Cet impact est plus élevé aux âges avancés et est plus importante chez les hommes que chez les femmes. Ainsi, la génétique semble jouer un rôle de plus en plus important pour maintenir les individus en bonne santé à mesure qu’ils vieillissent jusqu’à l’âge de 80 ans et au-delà. Pour les centenaires, cet impact de la génétique peut s’élever jusqu’à 33 % pour les femmes et 48 % pour les hommes7.
Le mode de vie, plus fort que les gènes

On pense que pendant les huit premières décennies de la vie, un mode de vie correct détermine plus la santé et la durée de vie que la génétique. Par exemple, il n’y a pas eu d’effets délétères de l’APOEε4 chez les sujets vivant dans le sud de l’Italie alors qu’il y en a eu chez ceux vivant aux États-Unis. Ces résultats suggèrent que le régime méditerranéen suivi en Italie peut atténuer l’effet délétère de l’APOEε45,17. Par ailleurs, une vie saine est associée à une moindre expression de FOXO3. Les individus en bonne santé ont moins de dommages oxydatifs et ont besoin de moins de FOXO3 pour atténuer ces dommages18. Enfin, une étude a montré que même avec un terrain génétique favorable au développement de la démence, les personnes ayant un mode de vie sain et évitant la fragilité réduisaient considérablement la survenue de la maladie19.
Le mot de la fin
Bien que nos gènes définissent qui nous sommes, ils ne définissent pas complètement comment nous vieilliront. Les résultats suggèrent que des conditions socio-économiques défavorables affectent bien plus les systèmes biologiques. Ainsi, il semble important de réduire les aux conditions socio-économiques défavorables ainsi que les facteurs de risque bien connus, tels que la consommation de tabac et d’alcool, la faible consommation de fruits et légumes, l’obésité et une vie sédentaire20.
Bibliographie
- Puca, A. A., Spinelli, C., Accardi, G., Villa, F. & Caruso, C. Centenarians as a model to discover genetic and epigenetic signatures of healthy ageing. Mech. Ageing Dev. 174, 95–102 (2018).
- Caruso, C. et al. Genetic Signatures of Centenarians: Implications for Achieving Successful Aging. Curr. Pharm. Des. 25, 4133–4138 (2019).
- Accardi, G. & Caruso, C. Updates in Pathobiology: Causality and Chance in Ageing,. 11.
- Sebastiani, P. et al. APOE Alleles and Extreme Human Longevity. J. Gerontol. A. Biol. Sci. Med. Sci. 74, 44–51 (2019).
- Gurinovich, A. et al. Varying Effects of APOE Alleles on Extreme Longevity in European Ethnicities. J. Gerontol. A. Biol. Sci. Med. Sci. 74, S45–S51 (2019).
- McIntosh, A. M. et al. The apolipoprotein E (APOE) gene appears functionally monomorphic in chimpanzees (Pan troglodytes). PloS One 7, e47760 (2012).
- Caruso, C. et al. How Important Are Genes to Achieve Longevity? Int. J. Mol. Sci. 23, 5635 (2022).
- Aiello, A. et al. Nutrient sensing pathways as therapeutic targets for healthy ageing. Expert Opin. Ther. Targets 21, 371–380 (2017).
- Anselmi, C. V. et al. Association of the FOXO3A locus with extreme longevity in a southern Italian centenarian study. Rejuvenation Res. 12, 95–104 (2009).
- Sanese, P., Forte, G., Disciglio, V., Grossi, V. & Simone, C. FOXO3 on the Road to Longevity: Lessons From SNPs and Chromatin Hubs. Comput. Struct. Biotechnol. J. 17, 737–745 (2019).
- Revelas, M. et al. Review and meta-analysis of genetic polymorphisms associated with exceptional human longevity. Mech. Ageing Dev. 175, 24–34 (2018).
- Capri, M. et al. Human longevity within an evolutionary perspective: the peculiar paradigm of a post-reproductive genetics. Exp. Gerontol. 43, 53–60 (2008).
- Caruso, C., Accardi, G., Virruso, C. & Candore, G. Sex, gender and immunosenescence: a key to understand the different lifespan between men and women? Immun. Ageing A 10, 20 (2013).
- Herskind, A. M. et al. The heritability of human longevity: a population-based study of 2872 Danish twin pairs born 1870-1900. Hum. Genet. 97, 319–323 (1996).
- vB Hjelmborg, J. et al. Genetic influence on human lifespan and longevity. Hum. Genet. 119, 312–321 (2006).
- Brooks-Wilson, A. R. Genetics of healthy aging and longevity. Hum. Genet. 132, 1323–1338 (2013).
- Aiello, A. et al. Age and Gender-related Variations of Molecular and Phenotypic Parameters in A Cohort of Sicilian Population: from Young to Centenarians. Aging Dis. 12, 1773–1793 (2021).
- Garatachea, N. et al. The ApoE gene is related with exceptional longevity: a systematic review and meta-analysis. Rejuvenation Res. 18, 3–13 (2015).
- Ward, D. D., Ranson, J. M., Wallace, L. M. K., Llewellyn, D. J. & Rockwood, K. Frailty, lifestyle, genetics and dementia risk. J. Neurol. Neurosurg. Psychiatry (2021) doi:10.1136/jnnp-2021-327396.
- Vineis, P. et al. Special Report: The Biology of Inequalities in Health: The Lifepath Consortium. Front. Public Health 8, 118 (2020).
Catégories
Newsletter (6) Pour tout comprendre sur le vieillissement (35) Pour approfondir vos connaissances (20) Chronique de la longévité (3)Imprimer cet article