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Les cellules sénescentes : de multiples rôles dans le vieillissement

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Points clefs :

 

  • La sénescence cellulaire est un phénomène naturel qui participe à la bonne marche de l’organisme, par exemple en aidant à la cicatrisation.

 

  • En vieillissant, les cellules sénescentes s’accumulent dans le corps, ce qui participe au vieillissement et à l’apparition des maladies liées à l’âge.

 

  • De nouveaux médicaments dit « sénolytiques », permettant d’éliminer ces cellules, sont en phase de développement et des essais cliniques sont actuellement menés chez l’Homme.

 

Le vieillissement est un processus naturel et complexe qui affecte tous les êtres vivants. Depuis une décennie, la recherche scientifique s’efforce de comprendre les mécanismes qui régissent ce phénomène afin de trouver des moyens pour ralentir ou même inverser ses effets.
Parmi les nombreux acteurs impliqués dans le vieillissement, les cellules sénescentes ont attiré l’attention de la communauté scientifique en raison de leur rôle potentiellement clé dans ce processus.

 

Qu’est-ce qu’une cellule sénescente ?

 

Une cellule sénescente est une cellule qui a atteint un état d’arrêt permanent de la division cellulaire, un processus connu sous le nom de sénescence cellulaire. Cet état peut être induit par divers facteurs de stress, tels que les dommages à l’ADN, le raccourcissement des télomères ou le stress oxydatif.

 

La sénescence cellulaire joue un rôle dual dans notre organisme. D’un côté, elle a une fonction bénéfique en tant que mécanisme de défense contre la transformation maligne des cellules. En cessant de se diviser, les cellules sénescentes préviennent la prolifération de cellules potentiellement cancéreuses, agissant donc comme une barrière contre le développement du cancer6. . Ce mécanisme joue également un rôle important lors du développement embryonnaire2,3 et de la réparation tissulaire4,5.

Cellules zombies

Cependant, la sénescence cellulaire a aussi un côté sombre, ce qui donne lieu à l’analogie avec les « cellules zombies ». Comme les zombies, les cellules sénescentes ne sont ni complètement vivantes (puisqu’elles ne se divisent plus) ni complètement mortes (puisqu’elles restent métaboliquement actives). Elles persistent dans le tissu, prenant de la place et libérant une variété de molécules pro-inflammatoires et facteurs de remodelage de la matrice extracellulaire connus sous le nom de phénotype sécrétoire associé à la sénescence (SASP).

 

Ce SASP peut avoir des effets délétères sur l’environnement tissulaire, favoriser l’inflammation chronique, la fibrose, la dégradation de la fonction tissulaire et la promotion de l’initiation et de la progression tumorale. Par conséquent, l’accumulation de cellules sénescentes contribue au processus de vieillissement et à la pathogenèse de diverses maladies liées à l’âge.

 

Ainsi, la sénescence cellulaire est une épée à double tranchant : un bouclier contre le cancer, mais aussi un contributeur potentiel au vieillissement et aux maladies liées à l’âge. La recherche actuelle vise à comprendre comment équilibrer ces effets opposés de la sénescence cellulaire pour promouvoir la santé et la longévité7,8.

 

 

Pourquoi les cellules sénescentes s’accumulent-elles ?

 

L’accumulation de cellules sénescentes avec l’âge est un phénomène bien documenté et est dû à une combinaison de facteurs.

 

Le processus de sénescence est une réponse naturelle au stress et aux dommages que nos cellules subissent tout au long de notre vie. Ce stress peut être causé par divers facteurs, tels que les dommages à l’ADN, le stress oxydatif, les radiations, les infections, l’inflammation, ou même les facteurs métaboliques. En vieillissant, nos cellules sont exposées à ces stress pendant une période prolongée, ce qui augmente la probabilité qu’elles atteignent un état de sénescence.

 

Deuxièmement, notre corps possède des mécanismes pour éliminer les cellules sénescentes, principalement par un processus appelé l’apoptose, ou mort cellulaire programmée, et par l’immunosurveillance, où les cellules immunitaires éliminent les cellules sénescentes. Cependant, avec l’âge, ces mécanismes peuvent deviennent moins efficaces, ce qui entraîne une accumulation de cellules sénescentes.

 

Enfin, les cellules sénescentes peuvent promouvoir leur propre survie en sécrétant diverses molécules (SASP) qui suppriment l’apoptose et modulent la réponse immunitaire.

Cette accumulation est l'une des causes principales du vieillissement et de nombreuses maladies liées à l'âge

Donc, en résumé, l’accumulation de cellules sénescentes avec l’âge est due à une combinaison de l’augmentation du stress cellulaire et des dommages, une diminution de l’efficacité des mécanismes d’élimination de ces cellules, et la capacité des cellules sénescentes à promouvoir leur propre survie. Cette accumulation est l’une des causes principales du vieillissement et de nombreuses maladies liées à l’âge, c’est pourquoi comprendre comment réguler ce processus est un domaine clé de la recherche médicale actuelle.

 

 

Sénescence induite par les traitements médicamenteux (Figure 1) :

 

Plusieurs traitements médicaux peuvent induire la sénescence cellulaire. C’est souvent une conséquence souhaitée dans le contexte du traitement du cancer, où l’objectif est d’arrêter la prolifération des cellules cancéreuses. Voici quelques exemples de traitements qui peuvent augmenter la sénescence cellulaire :

 

Chimiothérapie : De nombreux agents chimiothérapiques endommagent l’ADN des cellules cancéreuses, ce qui peut induire la sénescence.

 

Radiothérapie : La radiothérapie utilise des radiations pour endommager l’ADN des cellules cancéreuses, ce qui peut également induire la sénescence cellulaire.

Dans le contexte du traitement du cancer, induire la sénescence cellulaire peut être bénéfique, cependant, il peut être préférable, dans un second temps, de détruire sélectivement les cellules sénescentes

Thérapies ciblées : Les thérapies ciblées, comme les neutralisants de la tyrosine kinase, actives sur des voies de signalisation spécifiques axées sur la croissance et la survie des cellules cancéreuses. En bloquant ces voies, ces médicaments peuvent également induire la sénescence cellulaire.

 

Dans le contexte du traitement du cancer, induire la sénescence cellulaire peut être bénéfique, car cela empêche la prolifération des cellules cancéreuses. Cependant, l’accumulation de cellules sénescentes peut également avoir des effets sur les tissus environnants en raison de la sécrétion de molécules pro-inflammatoires et de facteurs de remodelage de la matrice extracellulaire. Par conséquent, il peut être préférable, dans un second temps, de détruire sélectivement les cellules sénescentes créées pour minimiser ces effets néfastes.

 

Des médicaments sénolytiques sont en cours de développement pour éliminer les cellules sénescentes. En combinant l’induction de la sénescence cellulaire pour traiter le cancer avec des traitements sénolytiques pour éliminer les cellules sénescentes résiduelles, il est possible de réduire les effets secondaires et d’améliorer la qualité de vie des patients après le traitement du cancer (voir notre partenaire www.starkagetx.com)  Cette approche pourrait également avoir des applications potentielles pour atténuer les effets du vieillissement et prévenir les maladies liées à l’âge.

Figure 1 : Les 3 contextes de la sénescence, d’après BG Childs et al, 20151

Impact général des cellules sénescentes sur l’organisme9,10

 

Le raccourcissement des télomères, les modifications épigénétiques, les dommages sur à l’ADN et la perte de fonction des mitochondries sont les premières causes de la sénescence cellulaire. Suite à ces évènements, les cellules se modifient. En particulier, elles se mettent à synthétiser et à sécréter un ensemble de protéines et de composés appelés « phénotype sécrétoire associé à la sénescence » ou SASP. Ce dernier agit en dehors de la cellule, attire des cellules immunitaires,  remodèle  les tissus et propage la sénescence aux cellules environnantes (Figure 2).

Figure 2 : Fonctions du SASP, d’après D McHugh and J Gil, 20189

Le SASP provoque aussi la sécrétion de centaines de facteurs pro-inflammatoires responsables de l’épuisement des cellules souches et d’une inflammation chronique. Il peut en outre entrainer un déséquilibre du métabolisme et une altération des protéines (Figure 3).
Ensemble, ces éléments mettent bien en évidence l’impact majeur de la sénescence cellulaire sur notre corps et sa contribution à notre vieillissement.

Figure 3 : Origine et conséquence de la sénescence, d’après D McHugh and J Gil, 20189

Cellules sénescentes : un rôle majeur dans les maladies liées à l’âge1,11

 

Les cellules sénescentes ont été largement étudiées pour leur rôle dans le développement et la progression de diverses maladies liées à l’âge. Voici quelques exemples documentés :

 

Arthrite : Dans l’arthrite, l’accumulation de cellules sénescentes dans les articulations favorise une inflammation chronique. Ces cellules libèrent des cytokines et d’autres molécules inflammatoires, entraînant une destruction progressive du cartilage et une altération de la fonction articulaire.

 

Maladie d’Alzheimer : Des études ont révélé la présence de cellules sénescentes dans le cerveau de patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Ces cellules contribuent à l’inflammation cérébrale et à la dégradation des neurones, ce qui peut aggraver les symptômes de la maladie.

 

Diabète de type 2 : Les cellules sénescentes ont été infectées dans le tissu adipeux des patients atteints de diabète de type 2. Leur présence est associée à une inflammation chronique et à une résistance à l’insuline, deux caractéristiques clés de cette maladie métabolique.

 

Maladies cardiovasculaires : Les cellules sénescentes se sont révélées être présentes dans les plaques d’athérosclérose, qui obstruent les artères. Ces cellules contribuent à l’inflammation et à la calcification des plaques, augmentant ainsi le risque de complications cardiovasculaires telles que les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux.

 

Fibrose pulmonaire : Les cellules sénescentes jouent un rôle dans le développement de la fibrose pulmonaire, une maladie caractérisée par une cicatrisation excessive des tissus pulmonaires. Elles libèrent des facteurs pro-fibrotiques qui favorisent la formation de tissu cicatriciel, entraînant une altération de la fonction pulmonaire.

Développer des thérapies ciblées visant à éliminer ou à moduler ces cellules afin de prévenir ou de ralentir le développement des maladies liées à l'âge

Ces exemples soulignent l’impact des cellules sénescentes dans diverses maladies liées à l’âge. L’accumulation de ces cellules contribue à l’inflammation chronique, à la dégradation tissulaire et à la perturbation des fonctions normales des organes, favorisant ainsi le développement et la progression de ces maladies. Comprendre le rôle des cellules sénescentes dans ces conditions permet d’ouvrir de nouvelles perspectives pour développer des thérapies ciblées visant à éliminer ou à moduler ces cellules afin de prévenir ou de ralentir le développement des maladies liées à l’âge.

 

Des thérapies contre la sénescence12–14

 

Les thérapies visant à contrer la sénescence cellulaire peuvent être classées en trois catégories principales: les thérapies sénolytiques, les thérapies sénomorphiques et les thérapies immunologiques.

 

Les thérapies sénolytiques consistent à cibler ces cellules et à les éliminer à l’aide de médicaments spécifiques. Plusieurs classes de médicaments sont en cours de développement, notamment les inhibiteurs de la tyrosine kinase, les inhibiteurs de la voie PI3K et les inhibiteurs de la voie mTOR.

 

Des médicaments sénolytiques tels que dasatinib et quercétine, en combinaison, ont été testés chez la souris pour éliminer les cellules sénescentes et retarder le vieillissement. Une étude de 2021 a montré que l’administration intermittente de navitoclax, un inhibiteur de la protéine BCL-2, éliminait efficacement les cellules sénescentes dans les tissus de souris âgées, améliorant ainsi leur santé et leur fonctionnalité. Leur problème majeur reste leur toxicité importante vis-à-vis des cellules saines.

 

Les thérapies sénomorphiques visent à redonner aux cellules leur fonctionnalité juvénile. Les cellules sénescentes ont des altérations de leur épigénome, qui est le code génétique qui contrôle l’expression des gènes. Les thérapies sénomorphiques consistent à modifier l’expression des gènes dans les cellules sénescentes pour les ramener à leur état juvénile. Cette approche est encore en phase de développement, mais des études précliniques ont montré que cette méthode pourrait être légèrement efficace pour contrer la sénescence cellulaire.

 

Les thérapies immunologiques visent à stimuler le système immunitaire pour éliminer les cellules sénescentes. Les cellules sénescentes ont une expression accrue de marqueurs de surface spécifiques appelés marqueurs de sénescence, qui peuvent être ciblés par le système immunitaire pour éliminer ces cellules. Les thérapies immunologiques consistent à stimuler le système immunitaire ou apporter des anticorps spécifiques pour qu’il reconnaisse et élimine les cellules sénescentes.

StarkAge Therapeutics utilise quant à elle des anticorps monoclonaux anti-DPP4 (CD26) pour détruire sélectivement les cellules sénescentes apparaissant lors des traitement anticancéreux (stratégie One-Two Punch)

Une approche immunologique a été développée par l’entreprise Unity Biotechnology, qui utilise des anticorps monoclonaux pour cibler les marqueurs de surface spécifiques exprimés par les cellules sénescentes. Leur traitement UBX1967, qui cible les cellules sénescentes dans les tissus articulaires, a montré des résultats prometteurs chez des modèles murins de l’arthrose.
StarkAge Therapeutics utilise quant à elle des anticorps monoclonaux anti-DPP4 (CD26) pour détruire sélectivement les cellules sénescentes apparaissant lors des traitement anticancéreux (stratégie One-Two Punch).

 

Une autre approche immunologique est l’utilisation des cellules tueuses naturelles (NK) pour éliminer les cellules sénescentes. Les cellules NK sont des cellules immunitaires qui ont la capacité de tuer les cellules cancéreuses et les cellules infectées. Des études ont montré que les cellules NK peuvent également éliminer les cellules sénescentes. Des essais cliniques sont en cours pour évaluer l’efficacité des thérapies basées sur les cellules NK dans le traitement des maladies liées à l’âge.

les premiers traitements devraient être disponibles pour les patients dans les prochaines années

En conclusion, les thérapies sénolytiques, sénomorphiques et immunologiques sont des approches prometteuses pour contrer la sénescence cellulaire et traiter les maladies liées à l’âge. Les médicaments sénolytiques, tels que dasatinib et quercétine, ainsi que les inhibiteurs de la voie PI3K et mTOR sont actuellement en développement. Les approches sénomorphiques et immunologiques sont encore en phase de recherche et de développement, mais elles ont montré des résultats prometteurs chez les modèles murins et les essais cliniques sont en cours.

 

 

 

Conclusion

 

Plus que jamais, les cellules sénescentes apparaissent aujourd’hui comme un axe majeur de recherche sur le vieillissement. La recherche doit encore travailler pour comprendre avec précision ce phénomène complexe et son rôle dans l’organisme. Il est aussi nécessaire de mettre au point des traitements spécifiques permettant d’éliminer les cellules sénescentes du corps tout en limitant les effets secondaires et la toxicité de cette action. Les essais cliniques sont en cours et les premiers traitements devraient être disponibles pour les patients dans les prochaines années.

 

 

 

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