Et si la longévité ne tenait qu’à un fil… d’ADN ?

L’origine de cette fable philosophique qui raconte un vieillissement inversé est basée sur une maladie génétique rarissime appelée Progéria ou Maladie de Hutchinson-Gilford.
Les enfants atteints de cette maladie voient les signes de la vieillesse apparaître à partir de leur première année de vie. Ils naissent vieux mais contrairement au film de David Fincher (2008) ne rajeunissent pas mais connaissent au contraire une accélération de leur vieillissement. Les rides apparaissent, l’ostéoporose et les douleurs articulaires, l’athérosclérose et les problèmes cardio-vasculaires, la chute des cheveux… ils s’éteignent comme de vénérables vieillards vers l’âge de 12-13 ans.
Cette maladie qui touche une centaine de patients dans le monde a une cause génétique. Il s’agit d’une mutation ponctuelle du gène de la Lamine A (LMNA) sur le chromosome 1 en position 1824. Cette mutation unique modifie une protéine qui, à la suite d’une cascade d’évènements au cœur des cellules, entraine des déformations des noyaux cellulaires, responsables de tous les signes de vieillissement et du décès prématuré de ces enfants.
Ainsi une seule mutation est responsable de ce qui se rapproche le plus d’un vieillissement accéléré.
Petits rappels : De l’alphabet génomique au transcriptome
Chez les cellules diploïdes de mammifères, un noyau de 6 µm de diamètre contient à lui seul 6000 millions de paires de base d’ADN compactées et ordonnées efficacement sous forme de chromatine ou de chromosomes. Cela équivaut à environ 1,8 mètre d’ADN, globalement la taille d’un être humain, dans 1 seule cellule microscopique2 (Figure 1).
Sous forme d’une double hélice, la molécule d’ADN est une association de 2 brins d’ADN dont chacun est un enchaînement de bases azotées complémentaires : l’Adénine (A) avec la Thymine (T) et la Guanine (G) avec la Cytosine(C) (Figure 1). Ces 4 bases azotées A, T, G et C forment à elles seules, les lettres de notre alphabet génétique2.
Cet alignement de bases azotées pourrait paraître désordonné mais il n’en est rien. Une succession de trois bases forment un codon. L’enchaînement des codons crée occasionnellement un gène. Au total, nous avons environ 25000 gènes sur nos 46 chromosomes.
Il faut garder en mémoire une particularité de l’ADN. Seul 3 à 4 % de notre ADN est codant c’est-à-dire qu’il peut être transcrit en ARN puis traduit en protéine. L’ensemble des ARN ainsi transcrits formera le transcriptome2. (voir article transcriptome)

Figure 1 : Schéma de l’organisation de l’ADN : de l’association de 2 paires de bases jusqu’au chromosome2.
Pour rappel, les chromosomes sont visibles seulement au cours de la division cellulaire. (D’après Hayes et al, 2000)
C’est donc naturellement dans l’ADN que les chercheurs ont commencé à traquer les mystères de la longévité. Les scientifiques s’affairent à la tâche depuis de nombreuses années et certaines clés ont d’ores et déjà été trouvées.
Existe-t-il des « gènes du centenaire » ?
Les français ont été les premiers à publier une étude sur l’ADN de centenaires1. Plusieurs équipes internationales ont alors emboité le pas, cherchant à découvrir les gènes influençant la longévité.

La révolution des techniques de séquençage du génome et de la bioinformatique ont considérablement accéléré les découvertes jusqu’à ces dernières années qui ont vu apparaître les GWAS (Genome Wide Association Studies) ou Etudes d’association de génomes de centenaires et supercentenaires (>110 ans).
Des résultats, parus dans la revue Nature à l’automne 2017, confirment pour 3 gènes l’existence de variants associés à une longévité augmentée : les gènes de l’Apo E, FOXO3A et CHRNA3/5 ².
D’un autre côté, les études de longévité de vrais jumeaux ont montré que seulement 20 à 30 % des variations de la durée de vie humaine est sous dépendance génétique tandis que le reste est lié aux comportements individuels et aux facteurs environnementaux qui peuvent donc être modifiés.
A ce jour, les scientifiques ont mis en évidence plus de 200 variants génétiques liés à la longévité chez l’homme mais ces variants n’expliquent qu’une petite partie de l’héritabilité* de la durée de vie.
*L’héritabilité est la part de la contribution des facteurs génétiques dans les différences interindividuelles. Attention : l’héritabilité n’a aucun sens pour un individu. C’est une proportion dans une population. |
Ou au contraire existe-t-il des gènes susceptibles de raccourcir notre durée de vie ?
Il est plus aisé de relier l’action de certains gènes ou variants délétères pour notre durée de vie – et ils sont nombreux – que l’inverse. Certains variants génétiques ont fait la preuve de leur activité de promotion du vieillissement :
- KLOTHO, du nom de l’une des trois Moires de la mythologie grecque dont le rôle était de déterminer la durée de vie de chacun. Il s’agit d’un gène, hautement conservé au cours de l’évolution, dont la mutation spontanée « perte de fonction » entraine un vieillissement accéléré chez la souris. Au contraire, la surexpression de ce gène accroit la durée de vie.
Or nous savons que le produit du gène, c’est-à-dire la protéine Klotho, diminue avec l’âge et est associée à de multiples affections classiquement observées au cours du vieillissement : Cancer, diabète, hypertension, insuffisance rénale chronique, atrophie cutanée, … - TOR (Target of Rapamycine) est un gène promoteur du vieillissement.
Un des rôles majeurs de TOR est d’adapter la croissance et le métabolisme cellulaire aux conditions environnementales, notamment la disponibilité des nutriments. L’inhibition de TOR par la rapamycine, une molécule découverte dans le sol de l’île de Pâques (également appelée Rapa Nui) augmente significativement la durée de vie chez différents animaux-modèles (voir article dédié).
Il semble que l’effet anti-vieillissement produit par l’inhibition de TOR soit dû au maintien de la qualité des protéines intra-cellulaires par l’activation des mécanismes d’autophagie (voir article dédié).
Peut-on agir sur l’ADN pour freiner le vieillissement ?
Un premier succès a permis de mettre en évidence un gène capable d’influencer à lui seul la durée de vie d’un animal modèle bien connu des scientifique, un petit ver nommé Caenorhabditis elegans.
La modulation de ce gène, nommé DAF-2 peut multiplier par deux la longévité de ce petit ver3. En 2019, une équipe chinoise a réussi à augmenter sa durée de vie de 500 % grâce à la manipulation de 2 gènes simultanément (DAF-2 et RSKS-1)4.
Les gènes ayant de multiples actions sur les voies métaboliques de la cellule, il est devenu crucial pour les chercheurs de comprendre et d’intégrer toutes ces interactions.
Ainsi, après le temps des « omics », né avec le 3ème millénaire et le premier séquençage d’un être humain, est apparue la « Biologie des Systèmes » ouvrant la voie à une compréhension intégrée des différents processus biologiques menant du gène vers la protéine ou le métabolite cellulaire.
2 Petite explication : Le pays des « omes »
De l’erreur nait la différence
Il était une fois un génome et un transcriptome, tous deux soumis à des mécanismes complexes de régulation.
Lorsque notre génome est copié, à chaque division cellulaire ou à cause d’agressions biologiques, physiques ou chimiques, des erreurs peuvent survenir dans notre séquence ADN. Comme la nature est bien faite, un système de sécurité corrige ses fautes mais il n’est pas infaillible. C’est ce qu’on appelle une mutation ou polymorphisme génétique5. Ces mutations sont la base de toute évolution de la vie car elles permettent d’avoir des différences entre les individus.
La plupart des variations génétiques passe inaperçue car elles surviennent dans l’ADN non codant qui représente près de 97 % de notre génome. Quand ces différences génomiques surviennent dans la partie codante de l’ADN, la diversité peut parfois devenir un problème engendrant des pathologies ou des désordres physiologiques.
Un chef d’orchestre nommé épigénétique
Pour jouer correctement cette symphonie génomique et transcriptomique, un système de régulation vient modifier la lecture de l’ADN. Il s’agit de l’épigénome qui va orienter l’utilisation des gènes en fonction des stimuli reçu par nos cellules pour s’adapter à un nouvel environnement.
La séquence des gènes n’est pas modifiée mais c’est leur expression qui peut varier ou être supprimée.
Toute cette biologie dotée du suffixe « -ome » ou « omics » en anglais permet à l’être humain de s’adapter à son environnement et d’être différent de son voisin. Les régulations sont très complexes et il peut arriver que ces systèmes dysfonctionnent sous l’effet de stress ou de notre vieillissement normal. Cela entraînera alors de nombreuses pathologies et une durée de vie modifiée.
Quel est le secret de longévité des Amishs ?

Des scientifiques de l’Université de Northwestern aux Etats-Unis ont découvert qu’une population Amish, vivant très isolée dans l’Indiana, possédait une mutation génétique aux propriétés étonnantes6.
Ces personnes vivent plus vieilles et en meilleur santé, avec un risque de diabète et de maladies vasculaires réduit ainsi que moins de maladies liées à l’âge.
Les observations indiquent que leur durée de vie et leurs télomères, seraient 10 % plus longs que la normale. Le plus étonnant réside dans la significativité des résultats : pour la première fois, un marqueur moléculaire de l’âge (longueur des télomères), un marqueur métabolique du vieillissement (insuline) et un marqueur de risque cardiovasculaire (pression sanguine et épaisseur artérielle) confirment tous que les individus de cette population Amish sont protégés des effets liés à l’âge.
Ils vivent plus vieux, certes mais dans de bonnes conditions de santé, ce qui est rare.
Le responsable de ces bienfaits est la mutation du gène SERPINE1, responsable d’une forte réduction de la protéine nommée PAI-1 chez ces Amish.
Une molécule expérimentale « TM5614 », qui neutralise cette protéine, fait l’objet d’un essai clinique au Japon. Les souris traitées avec cette molécule ont été épargnées de toutes les pathologies liées à l’âge et ont vu leur durée de vie quadrupler.
Cette molécule antivieillissement représente donc une des pistes pour traiter ou prévenir les maladies humaines liées à l’âge.
Nos différents tissus vieillissent ils de la même façon ?
Nous avons l’âge de nos artères car selon les tissus, nos gènes s’expriment différemment.
Chaque tissu exprime des gènes spécifiques et l’expression de ces gènes varie au cours de notre vie. C’est ainsi que certains organes vieillissent plus vite que d’autres.
Globalement, la peau est l’organe qui montre le plus de variation génétique en fonction de l’âge7.

Et si la beauté extérieure était la clé…
La recherche a déjà prouvé que nos gènes détiennent de nombreux secrets pour promouvoir notre longévité. En dehors des faits scientifiques mesurables, l’aspect physique et la « beauté extérieure » sont aussi des témoins du temps qui passe. Qui ne guette pas une ride ou un cheveu blanc lorsque le poids des ans se fait sentir ?
Une étude de 2016 révèle un fait surprenant. Il semblerait qu’un gène nous fasse paraître plus jeune que notre âge réel8. Une mutation du gène MCR1 fait rajeunir visuellement jusqu’à 2 ans. Ce gène produit une protéine responsable de la synthèse de mélanine. Il est également impliqué dans des processus d’inflammation et de réparation de l’ADN. Outre l’effet cosmétique de cette protéine, ses effets sur le vieillissement cellulaire sont indéniables et pourraient avoir à l’avenir des applications concrètes.
Conclusion
Obnubilés par la quête du Graal, certains chercheurs vouent une vie entière pour découvrir le code secret de la jouvence éternelle au travers de l’ADN. Mais la faible héritabilité* prouvée de la longévité humaine devrait orienter les recherches vers les interactions fonctionnelles plutôt que sur la structure de cette molécule.
La Biologie des Systèmes associée à une bonne dose d’Intelligence Artificielle apportera sans
nul doute de précieuses réponses à nos questions.
Bibliographie :
[1] Genetic associations with human longevity at the APOE and ACE loci. Schachter et al. Nat Genet. 1994 Jan; 6(1):29-32
[2] Genome-wide meta-analysis associates HLA-DQA1/DRB1 and LPA and lifestyle factors with human longevity. Peter K. Joshi, Nicola Pirastu, […]James F. Wilson. Nature Communications 2017 volume 8, 910
[3] Kenyon et al., 1993, Kimura et al., 1997, Lin et al., 1997, McElwee et al., 2004, Murphy et al., 2003, Ogg et al., 1997
[4] Translational Regulation of Non-autonomous Mitochondrial Stress Response Promotes Longevity. Jianfeng Lan et al. Cell Reports 28, 1050–1062, July 23, 2019
[5] Hayes H. Notions de base de génétique – ADN et chromosomes. INRA Prod. Anim. 2000, numéro hors série « Génétique moléculaire : principes et applications aux populations animales, page 13-20.
[6] Khan SS et al. A null mutation in SERPINE1 protects against biological aging in humans. Sci Adv 2017;3(11):1617.
[7] Glass D et al. Gene expression changes with age in skin, adipose tissue, blood and brain. Genome Biology 2013;14:R75.
[8] Liu F et al. The MC1R gene and youthful looks. Curr Biol 2016;26(9
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